Une pincée de liberté. Avril 2023

Ce matin, je commence à avoir des fourmis dans les jambes. Cela fait bientôt deux mois que les intempéries m’interdisent la moindre balade extérieure. Heureusement, l’hiver se termine. Les giboulées de Mars, annonciatrices du Printemps s’estompent. la nature reprend ses droits. Enfin, le ciel s’éclaircit. J’en profite.

J’ai donc pris mon courage à deux mains. Autrement dit, une paire de godillots ! Pourquoi faire ? Envahir, coûte que coûte et par tous les moyens le parc voisin, celui du domaine de Sceaux.il est un des plus grands et des plus beaux de la région parisienne.

– Mais, en ce moment, il est fermé ! Me prévient-on.  Tu vas trouver grille close.

Peu importe ! L’aventure me tente. Il n’est pas dit qu’un arrêté administratif, quel qu’en soit l’autorité signataire, m’aura contraint.

 Je passe un certain temps à tenter de contourner l’obstacle, en vain. Tous les portails et autres issues sont bien cadenassés. Il va me falloir jouer les « monte-en-l’air » ou « sous-mariniers ». Dans un cas comme dans l’autre, j’ai passé l’âge !

Ah ! Un signe du destin. Que vois-je dans le grillage ? Un trou ? Pas très grand, un ouvrage de gamins. Comment ont-ils réussi à sectionner la ferraille ? Peu importe ! Le résultat est là. Je ne suis donc pas seul à avoir eu envie de cheminer dans le parc. Comment agrandir l’accroc dans la clôture ? Je saisis le fil de fer à deux mains et bande mes muscles pour le tordre. Mes efforts ne sont pas vraiment couronnés de succès. J’ai beau me tourner, me retourner, retenir ma respiration. Impossible de passer. Je m’essouffle, je soupire… J’allai m’avouer vaincu par un sort contraire lorsqu’une petite voix en provenance d’un bosquet du parc, m’encourage :

– M’sieu, m’sieu ! J’viens t’aider ! 

Je lève les yeux et un garçonnet dune dizaine d’années, le visage barbouillé de chocolat, me fait signe. Regard malicieux, il m’interroge joyeusement :

– Tu veux v’nir dans l’parc ?

– Oui ! Je réponds sans hésiter.

Les sourcils froncés et sur un ton interrogatif, je poursuis :

– Mais c’est interdit. Le parc est fermé. Que fais-tu ici ? 

Pour toute réponse, son visage s’épanouit. Il renifle et s’essuie le bout du nez d’un revers de manche. Enfin, il s’approche de moi.

– Tu es tout seul ? Je lui demande.

– Non et, aujourd’hui, c’est moi qui fait le guet pour les copains.

– Ah ! Parce que … il y a des copains aussi dans le parc ?

– Ben oui ! Faut bien qu’on s’amuse !

– Evidemment ! Je réponds. Tu peux m’aider comment ?

– Le garçonnet, dont les genoux crottés qui dépassent d’un short trop large, me donne des indices sur la nature de ses activités de plein air, se gratte la tête, ébouriffant un peu plus sa tignasse blonde.

– Attend ! Dit-il enfin, le regard de plus en plus malicieux. J’reviens.

Un instant, je m’interroge. Cet enfant ne serait-il pas tout simplement le fils d’un gardien qui habite dans le parc ? Si tel est le cas, il va revenir en sa compagnie.

En conclusion, on va me rendre responsable des coups de cisaille qui ont ouvert cette brèche.

Une partie de moi me suggère fortement de m’éloigner avant qu’il ne soit trop tard. Une autre m’ordonne de demeurer sur place et d’affronter l’adversité si adversité il y a.

Après quelques palpitations inutiles, je vois mon « indic » revenir vers moi avec deux autres chenapans dans son genre.

Ils courent.  

– C’est c’m’sieu ! s’exclame-t-il! en me désignant d’un index terreux.

Le plus grand qui est encore tout petit sort une pince d’une poche de son jean délavé dont la teinte tire sur le vert à force de se rouler dans l’herbe.

– D’où tu sors cet outil ? je me hasarde à demander.

– Mon paternel bricole, me répond-t-il, en élargissant la trouée dans le grillage.

Et voici que je vais jouir d’une « pincée » de liberté grâce à la pince coupante de ce gamin. Le travail terminé, il fait mine de s’éponger le front d’un revers de main et redresse sa casquette qui avait glissé sur le côté. Il s’inquiète :

– V’là ! Maintenant, tu peux passer. Tu ne vas pas nous cafter ?

– Evidemment non ! Je confirme. Et merci encore.

– Pas de quoi, répond le cisailleur souriant et rassuré. Fais gaffe quand même. Y a des jardiniers qui travaillent. Y peuvent te voir et te dénoncer.

– Merci, les gosses ! Amusez-vous bien.

Ils me saluent une dernière fois et s’éclipsent à l’intérieur du bois qui jouxte cette partie du parc.

Livré à moi-même, je reste pensif puis me dirige vers les espaces plantés des superbes prunus roses et blancs qui, en cette saison, sont à l’apogée de leur floraison.

Les premiers instants d’extase passés, je choisis la sente qui descend tranquillement vers le grand canal. J’en fais le tour en humant l’air frais du matin chargé des flagrances de la flore locale.

Ici et là des parterres de tulipes, de jonquilles et autres narcisses parsèment les pelouses de tâches multicolores.  

Pour ne pas être aperçu, je longe les majestueux peupliers qui se mirent dans l’onde. Des vaguelettes en agitent la surface sous l’impulsion d’une légère brise. Des corneilles jacassent dans l’azur tandis que des écureuils se balancent de branches en branches.

Au loin, la façade romantique du château brille sous l’éclat du soleil levant.

A la croisée des chemins, au détour d’une allée, j’admire au passage les multiples statues qui peuplent le par et défient le temps depuis des siècles.

Quelle chance de pouvoir ainsi errer en pleine nature bercé par les chants des oiseaux, le clapotis de l’eau et le bruissement du vent dans les ramures.

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