Une journée ordinaire dans un atelier qui l’est moins.

Il est déjà près de 9 heures lorsque Pascale débouche de l’avenue du Maine à Paris pour s’engouffrer dans la rue Raymond Losserand. Emmitouflée dans un manteau côtelé pour résister au frimas de la saison, elle avance à pas rapide. La svelte silhouette de la gente dame qui anime l’atelier de vannerie de la délégation de Paris Ile de France slalome entre les groupes de badauds qui, en cette heure matinale, baguenaudent sur les trottoirs.

C’est également sans compter avec les utilisateurs de trottinettes de tous âges. Des vieux qui veulent se faire passer pour des jeunes et des jeunes qui se prennent pour des champions de la voltige.

Justement, voici un jeune pas tout à fait vieux ou plutôt un vieux pas du tout jeune qui la frôle. Elle peste contre l’impudent qui ne s’excuse même pas. Lorsqu’elle le voit s’écraser le tarin, un peu plus loin, contre un panneau publicitaire, son regard bleu s’éclaire malicieusement. On a beau ne pas vouloir du mal à son prochain, il y a cependant des circonstances où il est permis de se féliciter du hasard qui fait bien les choses !

Enfin, elle atteint la rue Jacquier. En cette voie, un silence relatif succède au vacarme incessant d’une circulation routière en folie.

Pascale presse le sésame et tire la porte vitrée de l’association. Au passage, elle  expédie un rapide salut au bénévole de permanence à l’accueil et se dirige, sans plus tarder, vers l’ascenseur.

Direction quatrième étage.

« La lumière est allumée ! Quelqu’un est arrivé avant moi ! se dit-elle.

– Coucou Jacques ! » Elle s’écrit en reconnaissant le plus jeune élève de l’atelier.

Attention ! Lorsqu’elle dit « le plus jeune », elle ne fait référence qu’à la date d’arrivée dans l’atelier.

Lui prétend… mais laissons-le s’exprimer !

« Je suis comme Peter Pan. A ma naissance, j’ai refusé définitivement de grandir. Je n’ai donc pas d’âge ! » se plaît-il à répéter à l’envi.  

Pascale minaude :

-Il a un défaut ! Il est gaucher….

Des bruits de pas font vibrer le sol. Ce sont les autres participants à l’atelier qui font leur entrée comme des comédiens en scène.

Neville est le premier. « Bonjour messieurs, dames ». Il gagne sa place à l’autre bout de la salle. Plus calme et silencieux que lui, tu meurs ! ! 

Kiem le suit de près. C’est le concurrent le plus sérieux de Neville. L’un et l’autre reste concentré sur leur ouvrage pendant des heures sans décrocher un mot si nous ne les interpelons pas.

Un gros chien vient se frotter à nos jambes. Pas d’erreur possible ! C’est Nils. Luis, son maître qu’il guide depuis plusieurs années, n’est pas loin. Il fait certainement le tour du palier pour saluer tout le monde.

« Il n’y a que des hommes dans cet atelier ? » vous vous dîtes ! N’est-ce-pas ?

C’est déjà oublier que notre animatrice est une charmante dame. Et puis …

« bonjour tout le monde ! » entonne Geneviève à la cantonnade.

Geneviève est la pimpante professeure de braille qui, entre deux élèves s’adonne aux joies de la vannerie.

Enfin, Jacqueline, la doyenne, pénètre dans la salle d’un  pas aussi léger que discret et s’installe en bout de table.

Et voilà, le « club » est au complet.

Ah ! J’allais oublier Vanavi. Elle est la cheville ouvrière de l’atelier. Bénévole, elle aide Pascale, en particulier, dans l’exécution des tâches ménagères.

« Tâches ménagères … Vous avez dit ? Ai-je bien ouï ». ?

L’ambiance de l’atelier est fraternelle.

Conséquence : L’emploi du temps de la journée est agrémenté d’une pause-café le matin et le midi d’un déjeuner pris en commun sur place.

Les palabres matinales terminées, chacun regagne sa place et récupère son ouvrage de la veille.

C’est ainsi, qu’avec l’agilité d’un fildefériste, leurs doigts trottinent sur le rotin tantôt pour le presser ou le tirer, tantôt pour le redresser ou le courber mais… toujours avec douceur pour ne pas le fragiliser ou risquer de le briser.

Ils brodent des « fleurs de lys », ils tressent des « crocanes »,

Ils entortillent des « torches », le tout dans une débauche de couleurs.

Tout ceci ne se fait pas sans rencontrer de multiples difficultés, que, après réflexions, leurs phalanges aguerries résolvent à leur satisfaction.

Pascale se dépense sans compter. Elle sautille de participants en participants pour distribuer ici un conseil, ailleurs pour redresser un ouvrage mal « fagoté ».

Tout en œuvrant, on demande à Jacqueline de nous raconter ses dernières aventures en Inde, le pays de ses ancêtres. On chicane Jacques qui chantonne souvent et … toujours faux.

 Pascale s’émerveille de ses dernières découvertes muséales. Geneviève défend, bec et ongles, l’intérêt de développer l’enseignement du braille et s’enorgueillit d’être la préférée de Nils. Luis nous sort la dernière blague de comptoir qu’il a entendue et nous fait part des nouveaux babillages de sa petite-fille.

Kiem et Neville sont tellement absorbés par leur travail que rien ne semble devoir les en détourner.

Les heures passent ainsi dans une ambiance décontractée. Elle n’empêche pas la réalisation, par les participants qui sont tous déficients visuels, d’ouvrages que je n’hésite pas à qualifier d’œuvres d’art.

Le soir venu, c’est à regret que les participants se séparent en se promettant d’être tous présents lors de la prochaine tenue.  

Pour Pascale, prendre la responsabilité d’animer un atelier de vannerie pour malvoyants et aveugles, a été un véritable défi qu’elle a relevé avec honneur. Il lui a fallu imaginer une méthode pédagogique spécifique faite d’une gestuelle adaptée et de l’utilisation d’un lexique spécial.

Ella a parfaitement réussi. J’en suis la preuve flagrante et vivante.

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